Des Eurobonds, mais pas sans un ministre des finances !

, par Vladimir Pecheu

Des Eurobonds, mais pas sans un ministre des finances !

La commission européenne vient de remettre un « livre vert » proposant trois modèles d’euro obligations. Ces titres de dette de l’Euro-zone uniques se substitueraient aux dettes nationales et empêcheraient les investisseurs de distinguer entre les emprunteurs.

A la vue du contexte actuel, une telle solution paraitrait très efficace. En effet, aujourd’hui sur le marché des obligations secondaires où les investisseurs s’échangent les titres de dette, la tendance est de vendre de la dette des pays supposés fragiles (Grèce, Espagne, Italie) pour acheter de la dette allemande, ou anglaise. Ces évolutions de l’offre et de la demande ont amené à une augmentation des taux d’intérêts des premiers et à un « effet boule de neige » concernant leur dette publique.

Si toutes les obligations d’Etat étaient immédiatement converties en eurobonds, le mécanisme décrit précédemment stopperait immédiatement, et un taux d’intérêt unique s’établirait sur les marchés.

De plus, représentant en partie les pays solvables, les titres porteraient des taux d’intérêt plus faibles. Certains observateurs prévoient cependant une augmentation du cout de l’emprunt pour l’Allemagne ou la France. Ceci n’est absolument pas certain en considérant deux autres bénéfices d’un marché unifié des dettes.

Premièrement, il serait beaucoup plus liquide, c’est-à-dire qu’il serait constitué d’un beaucoup plus grand nombre d’acteurs. Ainsi les personnes désirant vendre auraient beaucoup plus de facilités pour trouver des acheteurs, et donc accepteraient des taux d’intérêts plus bas.

D’autre part prise dans son ensemble, la zone euro présente une balance commerciale en équilibre, ce qui signifie qu’elle n’a pas de créditeurs extérieurs majeurs. Ceci est un grand avantage comparé aux Etats-Unis tenus par 1000 milliards de ses bons du Trésor détenus par la Chine, qui pourrait ainsi influencer le marché de la dette américaine si elle voulait en revendre une partie substantielle.

Le taux d’emprunt américain est aujourd’hui à 1,90%, alors que le Bund allemand s’échange à 2.07%

Un seul papier, mais plusieurs dettes

L’introduction d’eurobonds est une condition nécessaire pour une union fiscale, mais pas suffisante, et ce compromis à demi-mesure risque bien de se révéler destructeur.

En effet, la proposition de la Commission n’inclut pas une dette commune de l’Eurozone, avec un seul budget.

Ainsi, les Etats continueront à se distinguer par leurs emprunts, ce qui signifie que chacun devra rembourser sa part sans que des mesures de transferts puissent intervenir en cas de problème pour collecter les revenus nécessaires.

Et c’est bien à ce moment-là que les ennuis risquent de réapparaitre. Si un pays ne parvient pas à lever assez de taxes pour rembourser sa dette, où s’il a subitement besoin de revenus pour faire face à un choc sur son économie, il lui faudra obtenir l’accord de ses partenaires avant d’emprunter. Mais cette étape intergouvernementale risque bien de prendre beaucoup de temps, de créer des tensions, et finalement de susciter l’inquiétude des marchés.

Cette fois-ci, ce sera la zone euro dans son ensemble qui sera directement touchée.

Comme les investisseurs ne sauront pas quelle dette ils détiennent, mais voyant le spectre d’une obligation non remboursée, ils pourraient tous adopter le même comportement, vendre massivement et faire sombrer le marché.

En fait, exactement le même processus que lors de la « crise des subprimes » se mettrait en place. Le jour où les banques se sont rendues compte qu’elles ne savaient pas ce que représentaient leurs obligations titrisées, mais sachant qu’elles pouvaient être la contrepartie d’un ménage en défaut de paiement, dans le doute elles ont toutes déversé leurs titres et provoqué le blocage financier de l’économie.

Bien sûr, ce scénario pourrait être évité si les dirigeants parvenaient à se mettre en accord rapidement, ou effectuaient des transferts, mais au vu de la gestion de la crise actuelle, ce ne serait pas le plus probable.

L’union fiscale fait la force

Pour qu’une telle issue soit évitée, il faut qu’à un titre de dette unique soit associé une dette unique, avec un ministre des finances de la zone euro, qui sera en charge d’un budget unique au niveau de l’union monétaire. Collecté à partir des contributions nationales, qui pourraient être alignées sur les dépenses prévues de chaque pays, il ne signifierait pas forcément un partage des ressources.

Mais le ministre devra se prononcer seul sur les budgets nationaux, et contrôlera ainsi la bonne gestion des finances. Et lorsque les revenus diffèreront des prévisions – et ce sera toujours le cas en raison de la nature imprévisible de l’économie – il prendra à sa seule discrétion, des mesures de transferts rapides et efficaces, pour assurer un bon fonctionnement au système.

Une telle révolution dans la zone euro a déjà été proposée par Jean Claude Trichet il y a quelques mois. Consciente des tensions inter-gouvernementales actuelles, la Commission a volontairement occulté cette question dans son dernier rapport, en proposant un compromis de contrôle restant ancré dans une approche intergouvernementale. Mais pour que la zone euro conjure la crise, il faut que les gouvernements acceptent une délégation de souveraineté.

Vos commentaires
  • Le 25 novembre 2011 à 14:03, par Laurent Nicolas En réponse à : Des Eurobonds, mais pas sans un ministre des finances !

    La solution la plus vraisemblable à moyen terme, celle qui :
     permettrait une entrée en vigueur rapide des eurobonds avec l’accord de l’Allemagne,
     créerait un bon viel effet de cliquet « à la Monnet »,
     accélèrerait fortement l’harmonisation fiscale,

    c’est la mutualisation des dettes nationales avec en contrepartie, un contrôle coercitif en amont sur les budgets nationaux exercé par la Commission européenne. C’est à dire : ok pour mutualiser la dette dans des eurobonds, mais à la condition que vos budgets nationaux soient en équilibre, ou dans une marge de déséquilibre tenable compte tenu d’objectifs fixés pluriannuellement. Chaque année, quand les parlements nationaux auront adopté le budget de l’État membre, la Commission devra l’approuver pour qu’il entre en vigueur. Sinon, nouvelle lecture du texte au Parlement national.

    C’est la moindre des choses : on ne peut pas se contenter de mutualiser les dettes sans contrepartie. Il faut s’assurer que les eurobonds ne constituent pas un « bon pour créer de la dette » pour les pays dépensiers. C’est aussi ça la solidarité financière européenne, s’assurer que nos dépenses ne grèvent pas la capacité des autres États de l’Union à emprunter à des taux raisonnables.

    Cette évolution serait déjà en soi une révolution et induirait un changement radical de paradigme, qui ne pourrait que mener vers une fédéralisation du budget et une véritable union fiscale... mais à un rythme soutenable pour les opinions publiques et, surtout, le personnel politique des États de l’Union.

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