L’Europe et la presse : le commun désaccord

, par Ophélie Duprat

L'Europe et la presse : le commun désaccord

Il est des couples qui ne sont pas fait pour s’entendre, des couples dans lesquels le « je t’aime, moi non plus » est de mise. La presse et l’Europe sont de ceux là. La presse n’aime pas les questions européennes, les pays européens n’aiment pas leur presse.

Histoire d’un désamour

En premier lieu, la presse n’aime pas l’Europe. On jette souvent l’opprobre sur la presse généraliste, qui ne se préoccupe pas assez des questions européennes. Celles-ci ne sont abordées que lorsqu’elles ont un intérêt national et souvent même sacrifiées à cet intérêt national. Le seul exemple du traitement des élections européennes suffit à le démontrer. Bien sûr il y a en ces périodes quelques tentatives de vulgarisation, d’explication sur le rôle des députés et du Parlement, mais ce qu’on retiendra au lendemain des scrutins, ce sont les scores des principaux partis nationaux. Ainsi, juste après les dernières élections, les journaux français ont beaucoup parlé de la poussée d’Europe Écologie, du score correct de l’UMP et de la dégringolade du PS. Mais de la victoire globale des conservateurs, du renforcement du PPE, on n’en a dit mot, ou alors juste dans un petit encadré de bas de page. Alors bien sûr, au lendemain de ce dernier scrutin, les articles écrits évoquaient le fort taux d’abstention, sans pour autant, et c’est là tout le problème, questionner ce manque de mobilisation. Au fond, le problème est peut-être là. Partir du principe que tout le monde se moque de ce qu’il se passe, aux centres de décisions européens et personne ne se demande pourquoi ce désintérêt.

Le désintérêt pour l’Europe est-il le fait des médias ?

S’ils ne sont pas les seuls à blâmer (loin de là) les médias ont leur rôle à jouer dans ce désintérêt des citoyens pour l’Europe. La seule mise en évidence de la primauté accordée aux enjeux nationaux lors des échéances européennes suffit à noter leur insuffisance. Sans compter que ces périodes électorales en Europe sont des moments-clés pour le traitement médiatique de la question européenne. Illustration de ce traitement lacunaire : l’absence de page « Europe » dans des quotidiens français aussi influents que Libération ou Le Figaro. On fait entrer les questions européennes dans la rubrique « Politique » ou dans les pages « Monde », or est-ce la place que mérite une Europe aussi spectaculairement influente dans le quotidien de tout un chacun ? Interrogés sur la question, les médias répondront que les questions européennes ne font pas vendre. Et on touche là au nerf de la guerre.

Une presse européenne étouffée

Aujourd’hui les journaux doivent vendre. On est entré, au cours de la dernière décennie, dans une réelle logique de chiffres et de profits. Les médias ont été rachetés par des grands groupes (Bouygues, Pinault, Lagardère, Dassault, Bolloré). Ces noms choisis (presque) au hasard vous disent quelque chose ? C’est que, ces dernières années, on a beaucoup dénoncé la connivence de Nicolas Sarkozy avec ces hommes d’affaire. Et c’est là la deuxième donnée du problème. Parce que si la presse n’aime pas l’Europe, les pays européens le lui rendent bien. Connivence des patrons de presse avec le pouvoir mais aussi lois de censure de la presse, ordinateurs volés, journalistes intimidés sont malheureusement monnaie courante dans les pays d’Europe. On a beaucoup parlé récemment de la loi hongroise assénant un coup fatal à la liberté des médias. On vient également de citer les dérives de Nicolas Sarkozy qui semble depuis le début de son mandat avoir la mainmise sur les médias et droit de vie et de mort sur les patrons de la presse. Citons également Silvio Berlusconi qui possède lui-même un groupe de médias de fait acquis à sa cause. Alors, certes, les médias nationaux ne parlent pas assez des questions européennes. Et parfois même ils en parlent mal. Mais la presse dans bien des pays européens est étranglée par la nécessité d’être rentable et par le contrôle qu’exercent sur elle les pouvoirs publics. Alors comme dans beaucoup de divorces, on ignore qui a commencé à négliger l’autre. Comme dans toutes les séparations les torts sont partagés. Mais parfois avec des efforts de part et d’autre, des concessions des deux parties on peut repartir vers des cieux plus cléments et recommencer une idylle plus apaisée.

Illustration : Femme au journal

Source : Léa Marzloff sur Flickr

Vos commentaires
  • Le 25 avril 2011 à 05:50, par Martina Latina En réponse à : L’Europe et la presse : le commun désaccord

    Merci pour cet article : au TAURILLON donc de prendre avec autant de constance que de tact, sinon le taureau par les cornes, du moins la jeunesse par sa force et l’Europe même par ses atouts !

    Or Europe la Phénicienne et jeunesse vont de pair, comme on le sait : l’une comme l’autre, elles sont emportées au-delà de la peur et de la nuit par l’énergie de la création, par le génie du contact (que servent précisément depuis trois millénaires la dynamique fondatrice, alphabétique autant que nautique, commune au prodigieux TAUREAU et au peuple phénicien), enfin par la passion de la vérité, ou plutôt par sa pression, par son impression et surtout son expression... Le livre est certes né de l’alphabet, mais le journal ensuite a jailli des presses pour lutter contre oppressions et répressions. Nous en revenons donc - même si nous n’en revenons pas - naturellement à notre nom d’EUROPE : ne signifie-t-il pas VASTE VUE ?

  • Le 6 mai 2011 à 22:07, par T-A-M de Glédel En réponse à : L’Europe et la presse : le commun désaccord

    « On fait entrer les questions européennes dans la rubrique « Politique » ou dans les pages « Monde », or est-ce la place que mérite une Europe aussi spectaculairement influente dans le quotidien de tout un chacun ? »

    Peut-être que la réponse à cette question est d’une telle simplicité qu’elle vous échappe ?

    L’Europe n’est pas aussi spectaculairement influente que vous le dites. Toutes les questions essentielles relèvent toujours de l’échelle nationale. Toutes les autres décisions, moins importantes, sont prises par l’intermédiaire de nos Exécutifs...

    Bref, tant qu’on contrôle notre gouvernement et le centre d’impulsion Merkel-Sarkozy, tout va pour le mieux.

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