Pour que la zone euro devienne un poussah : introduire une assurance chômage européenne

, par Manuel Müller, traduit par Inga Wachsmann

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Pour que la zone euro devienne un poussah : introduire une assurance chômage européenne
© Michael Thurm

Le comité fédéral des Jeunes Européens Fédéralistes (JEF) Allemagne a voté une résolution demandant l’introduction d’une assurance chômage européenne. Celle-ci devrait en partie remplacer les systèmes d’assurance chômage nationaux. La zone euro pourrait désormais échapper aux crises comme celles des dernières années.

Souvenir d’enfance : vous bousculez un poussah [1], il perd son équilibre, penche d’un côté avant de retrouver son équilibre. Un poids qui fait partie de sa construction place le centre de gravité tellement bas que le bonhomme se relève toujours de sa propre force de pesanteur. Le poids sert de stabilisateur automatique pour le poussah.

De nombreuses analyses existent sur la plus-value et les conditions économiques d’une monnaie commune. En théorie, les avantages principaux d’un moyen de paiement unique sont l’absence de frais de change et une meilleure planification du commerce. D’ailleurs, le grand désavantage de l’union monétaire est sa sensibilité aux « chocs asymétriques », des situations dans lesquelles l’économie d’une région de l’union monétaire entre en crise pendant que d’autres régions restent stables ou en croissance. Les origines de telles asymétries peuvent être très variées. Il s’agit par exemple d’une crise dans une branche de l’industrie basée uniquement dans un pays ou d’un évènement politique qui a des répercussions plus fortes sur une région que sur d’autres. Les conséquences sont par contre toujours graves.

Les chocs asymétriques déclenchent des fuites de capitaux des régions en crise vers les régions en croissance et du fait de l’union monétaire, ces fuites ne peuvent pas être régulées par des variations du taux de change. Ce phénomène donne lieu à une dynamique auto-aggravante. Les pays en crise sombrent davantage dans la récession ; dans les pays en croissance, la conjoncture commence à produire des bulles. Dans une telle situation, les outils monétaires de la Banque centrale font faute. Si la Banque centrale baisse les taux d’intérêt, elle renforce l’inflation dans les régions en croissance, si elle revoit les taux à la baisse, elle rend la conjoncture défavorable pour les pays en crise. Si elle envisage une solution entre ces deux scénarios, elle risque de créer des dommages des deux côtés.

Un manque de stabilisateurs automatiques

Le succès d’une union monétaire dépend alors de sa capacité à gérer des chocs asymétriques. Tout dépend des outils qu’elle possède pour faire converger les évolutions conjoncturelles entre les différentes régions la composant. Au niveau d’un État, les mécanismes les plus précieux sont les systèmes de fiscalité et social communs. Dans une situation d’augmentation du chômage dans une région en crise suivant un choc asymétrique, les citoyens de la région concernée payent moins d’impôt sur le revenu et reçoivent en même temps plus d’argent des caisses sociales. Dans les régions en croissance à l’opposé, le taux d’emploi élevé produit une masse fiscale plus importante et les dépenses sociales baissent. Le transfert financier des régions en croissance vers celles en crise se fait via le budget commun et ce transfert relance la conjoncture dans la région en crise et prévient des bulles d’investissement dans les pays en croissance. Les transferts du système fiscal et social fonctionnent en fin de compte comme le poids du poussah. En cas d’un choc qui met l’économie en déséquilibre, le système autoproduit un contrepoids qui remet en équilibre l’évolution conjoncturelle. L’avantage décisif de ce système est qu’il est fiable et fonctionne selon des règles définies à l’avance sans besoin d’autres négociations et décisions politiques. C’est pourquoi les économistes appellent les impôts et les dépenses sociales des stabilisateurs automatiques. Au niveau européen, de tels stabilisateurs automatiques font défaut. Le budget de l’UE est trop petit et les mécanismes de transfert prévus (par exemple les fonds structurel et régional) sont trop lourds pour permettre un équilibrage conjoncturel à court terme. Ce n’est pas par hasard que l’union monétaire européenne a fait preuve de sa sensibilité aux chocs asymétriques. Au début des années 2000 par exemple, l’Allemagne se trouvait en récession bien que la croissance des pays du sud de l’Europe produisît des bulles immobilières importantes. La crise de l’euro a, en revanche, produit une baisse massive de la conjoncture autour de la Méditerranée bien que les pays du nord ne sont pratiquement pas touchés.

Indépendamment des causes des récessions, ces dernières se sont abattues plus durement que cela aurait été nécessaire, car les contradictions au sein de la zone euro se renforcent mutuellement en l’absence de stabilisateurs automatiques. Les bulles dans les États en croissance représentent en plus le germe pour la crise asymétrique suivante.

Une assurance chômage au sein de l’UE pour amortir les chocs asymétriques

Une solution possible à ce problème est une assurance chômage au niveau européen. Celle-ci se financerait des charges salariales et pourrait venir remplacer les systèmes nationaux de travail partiel qui existent en partie aujourd’hui. On peut imaginer un système où toute personne soumise à la sécurité sociale contribue avec deux pour cent de ses revenus à l’assurance européenne pour avoir en échange droit à douze mois d’allocations chômage de 50 pour cent du dernier salaire. Tout droit qui va au-delà de cette allocation de base resterait du ressort des États membres et de leurs systèmes d’assurance nationaux.

Ce système ne changerait pour le moment pas grand chose pour les chômeurs puisque les prestations nationales dépassent actuellement le niveau garanti par un tel système européen dans pratiquement tous les pays membres de l’Union européenne. Les effets sur la conjoncture dans la zone euro seraient par contre énormes. Comme c’est le cas aujourd’hui dans les systèmes de sécurité sociale nationaux, les transferts automatiques de régions avec un taux d’emploi important vers des régions au taux de chômage élevé, auraient lieu à un niveau européen. En cas d’un choc asymétrique, l’assurance chômage européenne soutiendrait la demande dans les pays en crise, préviendrait les bulles dans les pays en croissance et viendrait affaiblir les crises économiques graves. En plus, le mécanisme serait un outil de lutte contre les crises.

Limiter les allocations à douze mois permettrait de garantir que l’assurance chômage européenne ne finance uniquement que le chômage conjoncturel à court terme. Les transferts automatiques ne représentent pas une redistribution de long terme entre les pays membres. Le bilan fiscal net sur un cycle conjoncturel complet serait presque à l’équilibre pour chaque pays. Même les pays les plus performants économiquement profiteraient en cas de crise des prestations de l’assurance chômage européenne au même niveau qu’ils y ont contribué en phase de croissance. La stabilisation de l’union monétaire ne coûterait alors presque rien.

La zone euro actuelle ressemble à un poussah avec une construction mal bricolée. Tant que personne ne bouge le bonhomme est sympa à regarder, mais toute crise le met en danger et peut le faire tomber ou même exploser. L’union monétaire a besoin de stabilisateurs pour se tenir en équilibre à l’avenir. C’est pourquoi le comité fédéral des JEF Allemagne s’est prononcé en faveur d’une assurance chômage européenne.

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Notes

[1Poussah : Figurine lestée et à base demi-sphérique, qui revient en position verticale quand on la pousse

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