Allemagne-Turquie : ensemble, pour le meilleur et pour le pire

, par Aurélien Gerbeault

Allemagne-Turquie : ensemble, pour le meilleur et pour le pire
Angela Merkel (Allemagne), Recep Tayyip Erdogan (Turquie), Vladimir Poutine (Russie) et Emmanuel Macron (France) Image : kremlin.ru

La crise avec la Turquie en Méditerranée a jeté un éclairage sur les rapports particuliers qu’entretient le pays avec l’Allemagne. Une relation complexe unit les deux États, faite de rapprochements et de tensions réguliers.

Il ne lui aura fallu qu’un seul coup de téléphone pour faire redescendre la tension. Le 22 septembre dernier, la chancelière allemande Angela Merkel a dû appeler le président turc Recep Tayyip Erdogan, après que le ton soit monté entre lui et plusieurs dirigeants européens.

Depuis le mois d’août et la décision turque d’envoyer un bateau en Méditerranée pour localiser des gisements gazier, la Grèce n’a cessé de dénoncer une violation de son espace maritime. Le bateau qui naviguait dans une zone revendiquée par les deux pays a été le point de départ de tensions, auxquelles Paris a décidé de s’inviter. Pour défendre Athènes, Emmanuel Macron a annoncé l’envoi près des côtes grecques de navires militaires français, provoquant la colère d’Erdogan.

La diaspora turque, aux origines du rapprochement

Face aux menaces proférées par Ankara, la chancelière a décidé d’agir. Parfois présentée comme l’interlocutrice privilégiée d’Erdogan au sein de l’Union européenne, Angela Merkel semble avoir réussi à ramener la Turquie et la Grèce à la table des négociations, en plus d’avoir calmé le jeu entre les différentes parties. “Le gouvernement allemand a tenu un rôle de médiation, ce qui était son devoir puisqu’il assure actuellement la présidence du Conseil de l’Union européenne”, explique Günter Seufert, politologue au SWP (Stiftung, Wissenschaft und Politik), l’institut allemand pour la politique étrangère et la sécurité.

Cette intervention allemande, dépeinte comme naturelle, vient pourtant mettre en lumière la relation spéciale qui unit le pays avec la Turquie. “Les relations germano-turques représentent une situation vraiment particulière, confirme Günter Seufert. Il y a une interdépendance entre les deux États.” Une situation qui s’explique par une forte présence turque en Allemagne : sur les 82 millions d’habitants que comptent le pays, plus de 3 millions ont des origines turques. À l’origine de ce chiffre, des migrations importantes de travailleurs dans les années 1970 qui ont initié le rapprochement diplomatique germano-turc. “Aujourd’hui, on trouve des représentants de la communauté turques à tous les échelons politiques du pays, précise encore le politologue. Il y a aussi une forme de dépendance, notamment sur la coopération antiterroriste et face aux flux de migrants.”

Des tensions diplomatiques récentes

Mais cette coopération n’est pas sans incidence. Selon une note de l’IFRI (Institut français des relations internationales) parue en 2017, le pacte conclu entre Merkel et Erdogan, pour retenir les migrants en Turquie, constitue un moyen de pression pour le président turc : il peut, à tout moment, décider de relâcher ses efforts et ouvrir la voie pour les migrants vers l’Europe.

Outre ce moyen de pression face à Merkel, le rapport pointe aussi une année 2017 difficile pour les relations germano-turques. En février, le journaliste Deniz Yücel, correspondant en Turquie pour le quotidien Die Welt, a été arrêté et placé en garde-à-vue. Une première pour un journaliste allemand sur le sol turc. Quelques mois plus tard, Erdogan avait aussi qualifié de “pratiques nazies” les interdiction formulées par certains dirigeants régionaux allemands sur la tenue de meetings politiques par des ministres turcs auprès de leur diaspora. Ces ministres, proches d’Erdogan, devaient venir faire campagne en faveur du référendum constitutionnel turc qui a permis au président de renforcer ses pouvoirs.

Les liens économiques, plus forts que tout ?

Des accrochages et des tensions entre les dirigeants turcs et allemands qui ne viennent pas pour autant rompre les relations entre les deux pays. D’après Günter Seufert, celles-ci bénéficient d’un ancrage très profond, qui leur permet de tenir : “Il existe des relations économiques et sociales intensives, notamment avec l’engagement de nombreuses entreprises allemandes en Turquie. Il s’agit d’engagements productifs plus que financiers. Ce genre d’investissements ne peut pas être détruit rapidement, c’est une installation de long terme.” Ce sont plus de 7 000 entreprises allemandes qui seraient présentes sur le sol turc, directement ou par la participation au capital d’entreprises locales, d’après l’ambassade allemande à Ankara. Pour l’institution, l’Allemagne serait ainsi le premier investisseur étranger en Turquie.

Ces chiffres ne viennent pas pour autant satisfaire Rosa Burç et Burak Copur qui, dans leur note publiée par l’IFRI, dénonce l’échec de la politique turque menée par Merkel depuis 2005. Et par là même, la dégradation des rapports entre les deux pays. Malgré leurs relations diplomatiques et économiques, pour les chercheurs, il manque encore une vraie stratégie en Allemagne sur la politique turque. Tous deux appellent à l’écriture d’un nouveau chapitre dans cette relation germano-turque qui dure depuis plus de quarante ans.

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