Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

, par Alexandre Marin

Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse
CC Flickr

Les différents débats télévisés opposant les candidats aux primaires de la droite et du centre ont couvert à peu près toutes les thématiques ressassées depuis le début de la campagne. Un de ces sujets a toutefois été survolé, au prétexte de sa soi-disant légendaire complexité. Seuls quelques candidats de droite ou de gauche radicale, aux discours pourtant réputés simplistes se sont décidés à l’aborder  : on les appelle les Eurosceptiques. Ils ont beau aligner les contre-vérités, à défaut de contradiction ou d’autre son de cloche, ce sont eux qui donnent le ton sur ce thème interdit  : l’Europe.

Une gauche qui cède de plus en plus à la mode antieuropéenne

Il faut dire que les rares fois où les autres formations politiques en parlent, ce n’est guère mieux. Singeant les extrêmes jusqu’à la caricature, ils font de l’Europe la cause de maux dont le remède serait à trouver au niveau national (en votant pour eux). C’est à ce moment qu’on regrette que les questions européennes ne soient pas davantage taboues.

C’est sur une telle performance que Matthias Fekl s’illustre dans l’art de prendre les citoyens pour des imbéciles. Depuis qu’il est secrétaire d’état chargé du commerce extérieur, il ne cesse jamais de dénoncer l’opacité des discussions sur le traité transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis. On est en droit de se demander ce qu’il attend pour exiger que soient rendus publics les compte-rendu hebdomadaires de la Commission européenne sur les pourparlers commerciaux. De même, il clame son désir de protéger les Français du libre-échange mondialisé en demandant la fin des négociations euro-américaines, ce qui ne l’empêche nullement de donner son feu vert au renouvellement du mandat de négociation de la Commission, adopté à l’unanimité.

Le désormais ancien premier ministre, Manuel Valls, quant à lui, aura multiplié les coups de menton, en réaffirmant devant l’Assemblée Nationale que la France devait être souveraine dans la gestion de son budget. Plus récemment, il avait menacé de ne plus appliquer la directive sur les travailleurs détachés, une promesse reprise ensuite par Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon. Ces déclarations sont complètement dépassées mais très rarement critiquées. Elles dévoilent la réalité d’un mouvement politique où tout ce qui a trait à l’intégration européenne est évité et où l’europhobie primaire, à force de ne pas être contestée, finit par s’inscrire dans la doctrine collective. Arnaud Montebourg enfin n’hésite pas à affirmer sur France Inter que puisque son programme économique est contraire aux traités européens, il suffit de « violer les traités : tout le monde le fait ». Cela se passe de commentaires.

Seuls Emmanuel Macron et Benoît Hamon semblent avoir une vision politique de l’Union des 28 qui soit positive, rationnelle et cohérente. Ils plaident tous les deux pour une intégration renforcée du continent à travers l’harmonisation sociale et la construction d’un espace politique commun. Malheureusement, Benoît Hamon a été député européen, et sa faible présence en commission a démontré qu’il considérait surtout son poste comme une planque confortable que l’on est pressé de quitter pour un mandat national.

Si le vieux continent inspire la médiocrité à gauche, à droite, c’est surtout l’indifférence qu’il suscite.

A droite, le royaume de la médiocrité

Le seul candidat aux primaires à avoir eu un discours clair sur l’Union européenne est Jean-Frédéric Poisson, un souverainiste marginal qui a surtout réussi à faire parler de lui. Nicolas Sarkozy n’avait évoqué l’Europe que pour s’opposer à la levée des visas pour les Turcs dans l’Union et pour demander une refondation de l’espace Schengen. Alain Juppé avait présenté un programme plus complet qui se distinguait surtout par son vœu de créer une vraie police à l’échelle de l’Union. La meilleure résolution revenait cependant à Nathalie Kosciusko-Morizet. La candidate avait affirmé la nécessité de relancer la construction européenne via l’élection du Parlement européen à partir de listes partisanes européennes et non de listes nationales. Dans son projet, le chef de file du parti arrivé en tête lors des élections, premier de sa liste, aurait été désigné comme président de la Commission par le Parlement. Ce n’était ni plus ni moins qu’une des revendications majeures des fédéralistes.

Hélas, à propos de l’Europe, l’ignorance de François Fillon n’a d’égale que celle de Jean-François Copé sur les prix des viennoiseries. Si le ridicule ne tue pas, il est surprenant qu’il n’ait pas grièvement blessé le candidat désigné par le second tour de primaires,, tant celui-ci a collectionné les énormités.

La palme demeure la proposition de créer un directoire politique de la zone euro composé des chefs de gouvernement nationaux. Une telle institution existe depuis la création de l’euro  ; son petit nom, c’est l’eurogroupe. D’une manière générale, les priorités que préconise François Fillon pour l’Europe sont celles qui sont déjà discutées, parfois depuis deux ans, à savoir, une méthode pour une harmonisation fiscale au sein de l’Union, une meilleure protection de l’agriculture européenne, une plus grande réciprocité dans le commerce international, une feuille de route pour encadrer les relations entre l’Union et le Royaume-Uni, une coopération renforcée au sein de l’Union en matières policière et judiciaire, ainsi qu’ une politique efficace de sauvegarde des frontières extérieures. A ce titre, il a fait part de sa volonté de constituer un corps européen de garde-frontières… qui est déjà opérationnel depuis octobre de cette année (à sa décharge, Alain Juppé et Bruno Lemaire avaient fait la même proposition). Il ne manque plus au candidat que de transformer l’essai en proposant un temps de travail hebdomadaire de trente-cinq heures, un mandat présidentiel de cinq ans, ou l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Le reste du programme européen de l’ancien premier ministre n’est qu’une série d’engagements difficilement compatibles entre eux. D’un côté, il veut que l’Euro devienne un outil de souveraineté, que l’Europe dispose d’une politique commerciale souveraine et parle d’une seule voix sur la scène internationale  ; de l’autre il souhaite que la France s’oppose à la reconduction des sanctions économiques à l’encontre de la Russie, quitte à être seule.

De même, il demande une politique énergétique, numérique, de défense, et de protection des frontières à l’échelle européenne, mais insiste sur la nécessité d’un respect accru de la souveraineté des Etats. Or, comment de telles politiques peuvent-elles être efficaces, si elles sont dirigées par plusieurs Etats indépendamment de toute autorité centrale  ? Car contrairement à ce qu’affirme François Fillon, l’Europe n’a jamais cherché à devenir fédérale. Ne lui en déplaise les politiques menées de manière communautaire (politique de concurrence, politique agricole commune, euro, politique commerciale…) fonctionnent bien, alors que celles conduites de façon intergouvernementale (affaires étrangères, défense commune…) sont inexistantes. Ce que François Fillon oublie, quand il critique l’omniprésence de l’Europe sur le terrain des normes et son absence sur les affaires stratégiques, c’est que cette répartition des tâches est le résultat de la volonté des Etats membres, au nom, précisément, du respect de leur souveraineté. Ainsi, ils ont décidé de diriger eux-mêmes les politiques régaliennes décidées en commun, bien souvent avec des résultats largement décevants.

Le nationalisme et la démission de la presse

Ces paradoxes ne sont guère étonnants, au vu des idéaux quelque peu dépassés du candidat Fillon qui prétend vouloir réécrire le programme d’Histoire pour y intégrer le récit national. Ce récit lui sert même à justifier une alliance franco-russe en Syrie au motif que le général de Gaulle s’était allié à Staline contre Hitler, lorsqu’en réalité, il avait suivi les Américains qui avaient libéré la France, avant de défendre bec et ongle la place du pays parmi les vainqueurs de la guerre.

Même lors de la primaire d’Europe-écologie-les-Verts, les organisateurs des différents débats ont tout simplement esquivé tout ce qui concernait l’Europe. Si les candidats ont profité des parties dédiées à la sécurité pour réclamer des solutions européennes à ces problèmes, ils n’ont pas pu présenter leurs projets pour l’Union européenne. C’est d’autant plus un comble que trois d’entre eux étaient députés européens et que le premier mot employé pour qualifier leur parti est « Europe ».

Le plus surprenant, c’est que jamais durant les débats télévisés, les candidats n’ont été repris quand ils énonçaient des absurdités. Jamais ils n’ont été mis face à leurs contradictions dans le peu d’idées européennes qu’ils avaient exprimées. Cela montre que les journalistes ne connaissaient visiblement pas leurs dossiers et qu’ils cherchaient à éluder les sujets européens jugés ennuyeux mais qui revêtent une importance cruciale pour l’avenir de la France. Il convient dès lors de s’interroger sur ce qu’il reste du devoir d’information au sein des programmes télévisés consacrés à la politique, en témoigne la décision du service public de ne pas diffuser les débats des candidats à la présidence de la Commission lors des élections de 2014, ou le rejet récemment de l’amendement déposé par André Gattolin, soutenu par Sauvons L’Europe et les Jeunes Européens, qui demandait ni plus ni moins que les questions européennes soient plus abordées à la télévision, alors mêmes que les journalistes, premiers pourfendeurs des populistes et extrêmes droites, trouvent toujours le moyen d’inviter les représentants du FN pour discuter de sujets politiques qui ne les concernent pas - qu’on explique pourquoi Philippot a été convié à un débat sur l’élection autrichienne de dimanche dernier. Ce manque de professionnalisme et ce mépris pour l’Europe opéré non seulement par la classe politique mais également par les médias est indigne et dangereux.

Vos commentaires
  • Le 10 décembre 2016 à 16:09, par Gattolin En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    Vous pouvez compter sur ma détermination de sénateur, ancien responsable des JEF IDF, pour ne rien lâcher et continuer notre combat européen.

    Amitiés André Gattolin Sénateur des Hauts-de-Seine

  • Le 11 décembre 2016 à 09:33, par J. Enno En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    Très bon article. Il en faut plus, et plus vite, publiés dès que des âneries pareilles sont proférées.

  • Le 20 décembre 2016 à 22:48, par L’indépendant En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    Bel article d’eurobéatitude... Ainsi, contrairement à la réalité, les négociations entre l’UE et les Etats-Unis concernant le Tafta, ne seraient pas opaques pour le grand public ?... C’est oublier que certains politique ont prouvé le contraire... Ainsi, pour l’auteur de cet article, l’UE serait un rêve... Ce rêve est plutôt un cauchemar pour les populations. En effet, cette UE a des frontières commerciales passoires (par un stupide libre-échange dogmatique voulu par les ultra-libéraux de Dame Kommission), une volonté de nivellement social mais par le bas (directive des travailleurs détachés), le souhait de voir la retraite avancer jusqu’à l’age de 70 ans (mais pas pour les technocrates bien sûr), le mépris du suffrage universel lorsque le peuple ne se prononce pas selon le désir de certains pseudos-démocrates... Y’a pas à dire, elle est belle « votre » Europe...

  • Le 4 janvier 2017 à 02:22, par Alexandre Marin En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    @ L’indépendant

    L’Europe aurait des « frontières commerciales passoires » ? Expliquez-nous pourquoi les Britanniques se battent pour essayer de rester dans le marché unique, et pourquoi l’Islande et la Norvège y sont. Expliquez aussi pourquoi la Suisse a signé des tas d’accords bilatéraux avec l’Union.

    Les traités de libre-échange conclus avec les pays d’Asie et des Amériques est bien la preuve que les frontières de l’UE ne sont pas « passoires ».

    D’ailleurs où ai-je dit que le TAFTA n’était pas opaque ? J’ai juste dénoncé le double discours du secrétaire d’Etat au commerce extérieur qui se contente de clamer que les négociations devraient être plus transparentes sans rien faire, alors qu’il aurait le pouvoir de les rendre effectivement plus transparentes.

    Les libres-échangistes ne sortent pas de dame Commission. Ils sont majoritaires au Parlement européen et dans la plupart des pays nationaux. En France même, le candidat investi par la droite porte ces mêmes idées.

    Pour ce qui est de la directive sur les travailleurs détachés, il vous permet de payer les charges sociales françaises si jamais vous allez travailler quelques années à l’étranger, histoire qu’on ne vous sucre pas votre retraite. La directive bénéficie donc aux Français détachés dans d’autres pays européens. Ces derniers sont plus nombreux que les Européens détachés en France. Si la directive était correctement appliquée, un travailleur détaché en France coûterait aussi cher qu’un travailleur français. Seulement voilà, elle ne l’est pas car les contrôles qu’elle prévoie sont insuffisants, et c’est l’enjeu de sa révision. Il convient de noter que le nombre d’inspecteurs du travail en France est lui aussi ridiculement insuffisant.

    Enfin, personne n’a méprisé le suffrage universel lorsque la Suisse et la Norvège ont décidé de ne pas adhérer où quand les Britanniques avaient décidé par deux fois de faire partie de l’Union. Maintenant qu’ils ont vôté le Brexit, les « technocrates de dame Commission » pressent l’Angleterre de sortir le plus vite possible. Comme mépris du suffrage universel, on a connu pire.

  • Le 7 janvier 2017 à 01:03, par L’indépendant En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    @ Alexandre Marin. Avec une moyenne de 5,31 % en 2014 (données de l’OMC), les tarifs douaniers de l’UE sont faibles et je persiste à dire que ses frontières commerciales sont des passoires. Cette folle politique détruit nos emplois et notre économie et il faudrait persizter dans cette voie ? Quelle absurdité. La lecture des ouvrages du Prix Nobel d’économie Maurice Allais vous ferait le plus grand bien. Ce qu’il faut regarder avant tout dans une politique commerciale, ce n’est pas la balance en argent, mais la balance en emplois et là, on peut dire que notre pays par la faute de l’UE, est largement déficitaire.

  • Le 10 janvier 2017 à 13:29, par Alexandre Marin En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    @L’indépendant

    les tarifs douaniers ne sont pas les seules barrières commerciales. Il faut prendre en compte les restrictions non tarifaires. Il me semble qu’on accuse assez souvent l’Union de faire des normes sur les chasses d’eau ou sur les chargeurs de téléphone portable. Ces normes sont contraignantes pour des entreprises étrangères qui veulent investir en Europe. Ces normes limitent le caractère « passoire » des barrières commerciales.

    Le meilleur exemple est celui des Appellations d’origine protégées qui restreignent la possibilité d’exportation des opérateurs étrangers. C’est parce que les frontières commerciales européennes ne sont pas une passoire que les Britanniques sont sous pression pour rester dans le marché unique.

    Là où je suis d’accord avec vous, c’est que l’UE n’a pas assez d’outils de défense commerciale, parce que nos dirigeants sont tétanisés par les rétorsions que pourraient prendre les Brésiliens, les Chinois ou les Indiens. Si, selon moi, l’UE peut largement surmonter d’éventuelles rétorsions, la France seule ne le pourrait pas. La Chine est commercialement dépendante de l’UE, si l’UE tousse, la Chine a la grippe. Ce n’est pas le cas de la France.

    La France avait une politique commerciale déficitaire en terme d’emplois dès les années 1980. Imputer ce déficit à l’Europe a d’autant moins de sens que 300 000 emplois dans notre pays dépendent directement de la seule existence de l’espace Schengen.

  • Le 17 janvier 2017 à 12:13, par L’indépendant En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    @ Alexandre Martin. Vous savez pertinemment que l’UE est l’un des espaces commerciaux les moins protégés, même avec les normes. D’ailleurs, HEUREUSEMENT qu’il en existe. Cela vous chagrine ? En outre, 300 000 emplois dépendrait selon vous de l’espace Schengen (cette folie !). Et combien de salariés français concurrencés par la faute de cet espace ? Et j’ajouterai, par la faute de la directive des travailleurs détachés ? Non, cette UE n’est pas du tout positive pour notre pays en matière économico-commerciale et en matière de lutte contre le chômage, bien au contraire.

  • Le 20 janvier 2017 à 15:49, par Alexandre Marin En réponse à : Europe et élection présidentielle : entre nullité profonde et indifférence crasse

    Je ne suis nullement chagriné des normes européennes, ces « milliers de directives pondues par la Commission » comme vous le dîtes en commentaire d’un autre article.

    Je dis que grâce à ces normes, l’UE est un des espaces les plus protégés (système Reach, normes sanitaires, environnementales, de protection du consommateur, toutes ces règles viennent de l’Union européenne).

    Quant aux salariés concurrencés, vous croyez qu’il n’y en avait pas avant Schengen. Que les sans-papiers qu’on faisait (et qu’on fait toujours) travailler au noir datent de Schengen ? Que les délocalisations dans les pays émergents datent de Schengen ?

    Bah non ! Ca date des années 1970. Maintenant, la Chine aussi commence à être en proie aux délocalisations, et il me semble qu’on ne peut pas incriminer Schengen.

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