IVG : les droits des femmes menacés en Pologne

, par Maria Popczyk

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IVG : les droits des femmes menacés en Pologne
Crédit : Klara Orlowska

Jeudi dernier, une campagne nommée Czarny Protest (Protestation noire) a été lancée pour défendre le droit à l’IVG en Pologne. Cette protestation a été organisée en réponse à la proposition de loi visant à restreindre les droits des femmes, dont la première lecture a eu lieu vendredi dernier. Le texte prévoit l’interdiction totale de l’avortement, même en cas de viol ou de danger de vie pour la mère.

Deux propositions de loi antagonistes

La Diète polonaise a examiné, au cours d’une session parlementaire de la semaine dernière, deux initiatives populaires : l’une pour la libéralisation du droit à l’avortement, et l’autre visant au contraire à le restreindre. Le premier texte a été préparé par le Comité Sauvons les Femmes (Ratujmy Kobiety), et il vise à faciliter l’accès des femmes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Les femmes pourraient librement avorter dans un délai de trois mois. Il y est également question d’améliorer l’accès à la contraception ainsi qu’à l’éducation sexuelle et planification familiale – un enseignement adapté selon les classes. Le Comité Stop à l’Avortement (Stop Aborcji) est à l’origine de la seconde proposition de loi : ses militants demandent la protection du fœtus dès sa conception. Ils justifient leur revendication par la Constitution polonaise, qui garantit le droit à la vie à tous les citoyens. Selon eux, un enfant a des droits avant même d’être né. Cette proposition de loi prévoit une sanction pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison aussi bien pour la femme elle-même que pour toute personne qui l’aidera à avorter.

Ce que dit la loi

En Pologne, l’IVG est actuellement autorisée dans trois cas de figure : si la grossesse met en danger la santé ou la vie de la mère, si le fœtus est malformé ou touché d’une maladie incurable ou en cas de viol (une femme ne peut alors avoir recours à l’IVG que dans un délai de 3 mois). A titre de comparaison, le droit français autorise l’IVG (avant le 3e mois de grossesse) à toute femme enceinte sans devoir justifier son acte, et cela depuis la loi Veil de 1975. L’Union européenne n’est pas compétente pour légiférer sur l’IVG, mais elle recommande tout de même aux États membres de légaliser l’avortement.

Un combat politique

La polémique sur le droit à l’avortement s’inscrit en Pologne dans un débat plus large : entre les conservateurs (le parti Droit et Justice et ses alliés) et les libéraux (la Plateforme Civique est ses alliés). En effet, lors de la première lecture des deux propositions de loi, tous les députés de Droit et Justice se sont prononcés pour l’interdiction de l’IVG – étant donné qu’ils ont la majorité absolue à la Diète, ils ont largement remporté le vote. L’hiver dernier, les choses se sont déroulées de la même façon pour nommer de nouveaux juges (choisis par le parti au pouvoir) au Tribunal constitutionnel et pour un contrôle renforcé des médias publics. Il s’agissait de remplacer ces juges et journalistes par des sympathisants du parti. Aujourd’hui, il s’attaque aux droits des femmes défendus par les libéraux. Ainsi, par des moyens démocratiques, le parti au pouvoir est en train de supprimer successivement les fondements mêmes de la démocratie.

Une politique de natalité assez particulière

Alors qu’en France l’Etat encourage les couples à avoir plus d’enfants en offrant un soutien financier non négligeable aux familles nombreuses, le groupement politique au pouvoir en Pologne tente d’augmenter la natalité en obligeant les femmes à accoucher. Le gouvernement a certes mis en place une politique d’allocations familiales dès le deuxième enfant, mais cela ne peut en aucun cas être considéré comme une compensation pour les femmes ayant voulu avorter.

Quelles conséquences si le texte est voté ?

A part la reconnaissance des droits du fœtus, les militants anti-IVG n’obtiendront rien de très positif. L’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse dans le pays ne va sans doute pas freiner l’émigration des jeunes, chose que le parti promettait de résoudre lors de sa campagne. Les avortements clandestins ne risquent pas de disparaître non plus, au contraire : toutes les femmes n’ont pas les moyens de partir dans une clinique à l’étranger. L’interruption « souterraine » de grossesse deviendrait une solution systématique pour toutes les femmes ne souhaitant pas perdre leur vie en accouchant, ou n’ayant pas les moyens matériels de s’occuper d’un enfant gravement malade à la naissance. Ou encore pour les jeunes filles violées ne voulant pas élever l’enfant de leur agresseur. Comme l’a dit la députée Kamila Gasiuk-Pihowicz du parti .Moderne (.Nowoczesna, droite libérale) : « L’avortement a existé, existe et va exister. Cette loi ne va pas l’empêcher, elle fera seulement que les femmes pauvres vont le pratiquer clandestinement, et les femmes riches – dans les cliniques allemandes ».

Perspectives

Krystyna Janda, une célèbre actrice polonaise, a appelé à une grève générale des femmes le 3 octobre. Il s’agit d’une protestation symbolique inspirée de celle des Islandaises en 1975. Des milliers de personnes déclarent se joindre à elle sur les réseaux sociaux, ce qui prouve qu’une partie de la société compte résister à cette limitation des droits des femmes. Faut-il que l’Union Européenne règlemente davantage l’IVG à l’échelle communautaire pour garantir les mêmes droits au sein de ses États membres ? Ou faut-il laisser chaque État décider de sa propre politique sur l’IVG et attendre que certains dirigeants aient envie de se mettre à la place d’une femme ?

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