Kherson libérée, un nouveau pas vers la défaite russe ?

, par Louis Brand

Kherson libérée, un nouveau pas vers la défaite russe ?
Source : Unsplash

Le 9 novembre dernier, le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgoiu, a ordonné le retrait de ses troupes de la ville de Kherson. Seule capitale régionale à avoir été conquise par l’armée russe, sa libération par les troupes ukrainiennes constitue un revers stratégique important dans le conflit, sans pour autant totalement rebattre les cartes.

Le retrait des troupes russe de Kherson met fin à 254 jours d’occupation. Le 2 mars 2022, seulement quelques jours après le début de l’invasion, Kherson tombait sous le joug de l’armée russe. Donnant son nom à la région, la ville de Kherson constituait une prise importante pour Moscou depuis le début de la guerre d’annexion. Faisant la jonction entre le Donbass et la Crimée, deux régions plus ou moins contrôlées par la Russie, la région de Kherson permet un accès direct à la mer d’Azov et à la mer Noire, faisant d’elle une zone particulièrement convoitée par le Kremlin.

Une « Russification » à l’œuvre dans le sud-Est de l’Ukraine

Kherson, située sur la rive droite du Dniepr, est le théâtre d’un processus de « russification » forcé depuis son occupation. En mai, les autorités russes avaient déjà annoncé l’instauration du rouble comme deuxième monnaie officielle dans la région, faisant de Kherson une zone à double-devise. Au mois de juin, les habitants de Kherson ont été les premiers à se voir délivrer des passeports russes, ce qui a progressivement été généralisé aux habitants des régions séparatistes de Donetsk et Lougansk. Des centaines de milliers d’habitants du Sud-Est de l’Ukraine auraient ainsi reçu des passeports russes au cours des derniers mois. Le ministère ukrainien des Affaires étrangères n’a pas manqué de réagir, affirmant que ces papiers étaient « juridiquement nul ».

Les 250 000 habitants de la ville de Kherson sont aussi contraints d’ouvrir des comptes bancaires russes et d’utiliser le réseau Internet russe Miranda-Media. Le processus de russification touche tous les pans de la société, allant même jusqu’à l’éducation. Si les écoles n’ont pas été détruites par les bombardements, des professeurs russes y sont envoyés pour enseigner leur programme scolaire. À Kherson, tous les fonctionnaires locaux ont été remplacés par des gouverneurs pro-russes, rendant l’opposition quasiment impossible.

La fin de l’occupation mais certainement pas la fin de la guerre

La libération de la ville le 11 novembre dernier constitue un tournant important dans le conflit. La perspective d’une défaite russe semble de plus en plus probable et la résilience des troupes ukrainiennes a une nouvelle fois été révélée au grand jour. Car si les troupes russes ont libéré la ville, c’est bien parce qu’elles y ont été contraintes. En effet, la contre-offensive de l’Ukraine a frappé stratégiquement les ponts et les barrages sur le fleuve du Dniepr, brisant ainsi les lignes d’approvisionnement russes et forçant l’armée à se replier.

Cependant, la joie de la libération cède rapidement sa place à la désolation. Si Kherson n’a pas été autant touchée par les pilonnages d’artillerie et les bombardements que d’autres villes de l’Est, elle y est maintenant exposée. En effet, étant à nouveau sous l’autorité ukrainienne, la ville de Kherson est désormais sur la ligne de front et l’armée russe, repliée sur la rive gauche du Dniepr, a d’ores et déjà commencé à frapper la ville. Au cours des derniers jours, un dépôt pétrolier de la zone industrielle ainsi qu’un point d’aide humanitaire ont été bombardés, instaurant la peur parmi la population.

La libération de Kherson, bien qu’elle soit signe d’espoir pour la reconquête ukrainienne des territoires annexés, n’arrange pas la situation humanitaire déjà catastrophique. Le Président Zelensky, qui s’est rendu lui-même à Kherson, a affirmé que la Russie a détruit toutes les infrastructures nécessaires à la ville. L’accès à l’électricité et à l’eau courante a été coupé par l‘armée russe juste avant son retrait, alors que le rude hiver oriental s’installe progressivement. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a par ailleurs témoigné de son inquiétude au sujet des millions d’Ukrainiens et Ukrainiennes ayant dû quitter leurs foyers depuis l’invasion, les contraignant à « choisir entre se nourrir et se chauffer ».

Le droit international bafoué

Le chef de l’État ukrainien s’est affiché plein d’espoir, affirmant qu’il est « impossible de tuer l’Ukraine » et que le pays « se tient prêt pour la paix ». Foulant les rues de Kherson en tenue de style militaire, Volodymyr Zelensky a été acclamé par les habitants sous l’agitation de drapeaux jaune et bleu et a promis de « trouver et amener la justice à chaque meurtrier ».

Alors que les Russes et les Ukrainiens s’accusent mutuellement de crimes de guerre, Moscou a rappelé que Kherson appartenait toujours à la Russie. Faisant allusion aux référendums d’annexions du 30 septembre dernier, le porte-parole du Kremlin a sobrement déclaré : « Nous ne commenterons pas, vous savez bien que c’est le territoire de la Fédération de Russie ». En effet, dans les Républiques populaire de Donetsk et Lougansk, ainsi que dans les oblasts de Kherson et de Zaporijia, les autorités fantoches séparatistes ont procédé à des référendums dans le but de créer une « Nouvelle-Russie » et ainsi « légaliser » le processus d’annexion. Les votes en faveur de l’annexion auraient tous recueilli plus de 85% des suffrages selon Moscou. Ces résultats ne sont évidemment pas reconnus par la communauté internationale qui les juge fictifs et contraires à la Charte de l’ONU.

Défigurée, la ville de Kherson tente maintenant de renaître de ses cendres, en commençant par des premiers travaux de documentation à propos des atrocités commises depuis l’occupation. De nombreux habitants sont toujours portés disparus. Si Moscou évoque une « évacuation » des civils, Kiev qualifie ces transferts de « déportations ». Le nombre exact de victimes est dur à évaluer, tant les sources sont diverses et divergentes. Mais selon le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (HCDH), plus de 6 000 civil.es ont été tué.es en Ukraine depuis le début du conflit.

La pobedobesie russe ; pas seulement un mythe

Tous les moyens semblent bons pour le Président russe dans sa quête de « dénazification » de l’Ukraine. Si cet argument semble a priori totalement anachronique, il est en fait l’héritage d’un narratif construit et développé dans l’après-guerre en Russie, qui sacralise et mythifie la victoire des Soviétiques sur le nazisme. On parle de pobedobesie, ou de culte de la victoire, qui est un instrument politique très utilisé par Vladimir Poutine pour justifier la brutalisation et la militarisation de sa politique étrangère au cours des dernières décennies.

Selon la représentante spéciale de l’ONU, Pramila Patten, plus d’une centaine de viols et d’agressions sexuelles ont été commis par l’armée russe en Ukraine, et cela constituerait seulement le « sommet de l’iceberg ». Les violences sexuelles étant des « crimes silencieux », elles agissent comme « arme de guerre » et « tactique de terreur » au sein des conflits, affirme encore l’onusienne.

« Slava Ukraini »

Finalement, rappelons-nous toujours de qui est l’agresseur.e et de qui est l’agressé.e, et surtout donnons la parole aux victimes. Ce que regrettent un grand nombre d’académiciens et d’académiciennes aujourd’hui, c’est que l’Ukraine a trop longtemps et trop souvent été oublié des travaux scientifiques, ou alors mise sous le même pan politico-culturel que la Russie. C’est ce manque de discernement qui a conduit à l’aveuglement de l’Occident face à l’impérialisme russe, dont les signes avant-coureurs furent nombreux et répétés au cours des dernières années.

“Without Russia in this war, there would be no war. Without Ukraine in this war, there would be no Ukraine”. Dr Olga Burlyuk, Université de Amsterdam

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