L’aérien bat de l’aile en Europe : les perspectives d’un secteur toujours durement frappé par la crise du coronavirus

, par Noémie Chemla

L'aérien bat de l'aile en Europe : les perspectives d'un secteur toujours durement frappé par la crise du coronavirus
Source de l’image : Pixabay

Après la pandémie, quels transport dans l’Union européenne fin 2020 ? Depuis le mois de mars 2020, le confinement, les fermetures de frontière et les mesures restrictives dans le monde entier ont fait du secteur aérien l’un des plus gravement touchés par la crise liée à la Covid-19. Après un arrêt presque total de l’activité de mars à juin, les compagnies aériennes comptaient sur les vacances d’été pour se remettre mais la reprise n’a pas été aussi forte qu’espérée et après une saison estivale difficile, le secteur doit désormais faire face à la « deuxième vague ». Une situation inédite qui oblige l’UE et les États membres à prendre des mesures nouvelles.

Une chute vertigineuse du trafic et une crise économique profonde

Les chiffres sont catastrophiques : selon les prévisions de l’Association internationale du transport aérien (IATA), le trafic mondial devrait chuter de 60% en 2020, et le retour à la normale ne devrait pas se faire avant 2024. Toujours selon l’IATA, les compagnies aériennes devraient afficher en 2020 une perte nette de 21,5 milliards de dollars.

L’Europe n’est pas épargnée. Dans un communiqué, ACI Europe, principale fédération professionnelle des sociétés aéroportuaires, a annoncé que le trafic en juillet était resté inférieur de 78% par rapport au mois de juillet 2019, après une chute de 96,4% au plus fort de la crise. La plupart des grandes compagnies européennes ont déjà annoncé des pertes importantes : l’alliance des compagnies française et néerlandaise Air France-KLM affiche une perte de 4,4 milliards d’euros ; l’allemande Lufthansa 3,6 milliards ; le groupe IAG propriétaire de British Airways et d’Iberia annonce une perte de 3,8 milliards et ainsi de suite… Les compagnies low-cost comme Transavia, Ryanair ou easyJet n’échappent pas au désastre. Des pertes abyssales qui engendrent des restructurations sans précédents, les compagnies aériennes annonçant des milliers voire des dizaines de milliers de suppressions de postes, représentant souvent entre 10 et 50% de leurs effectifs. L’industrie aéronautique est également affectée : ainsi, Airbus, fleuron européen de la construction aéronautique a annoncé la suppression de 15 000 postes, principalement en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne.

L’assouplissement des règles européennes en matière d’aides d’État face à la crise

Face à cette situation, les pays d’Europe ont été obligés de venir en aide aux compagnies aériennes nationales. À tel point que les règles européennes ont dû être réécrites pour pouvoir leur permettre de mettre en place des plans de sauvetage financier des compagnies. En effet, selon l’article 107 du TFUE, les aides d’État, à savoir le soutien financier accordé par l’État aux entreprises, pouvant fausser la concurrence sont interdites au sein du marché européen. Afin d’éviter une faillite généralisée, la Commission européenne s’est donc appuyée sur le paragraphe 3, point b) de l’article 107, qui dispose que les aides destinées à « remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre » sont compatibles avec le marché intérieur. Dans sa communication du 20 mars intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aides d’État », la Commission a toutefois tenté de mettre en place un cadre aussi restreint que possible pour éviter une trop grande distorsion du TFUE : les mesures devaient être temporaires et limitées autant que possible, les États devaient présenter le plus rapidement possible à la Commission le détail des mesures de soutien et afficher une totale transparence dans les informations fournies et le suivi. Les plans de restructuration doivent en outre être validés par la Commission.

Ces plans de sauvetage des compagnies nationales se sont donc multipliés depuis le mois de mars. La Commission européenne a validé en mai le plan de sauvetage à 9 milliards d’euros de Lufthansa, l’aide française de 7 milliards d’euros accordée à Air France, ou encore l’aide gouvernementale de 290 millions d’euros accordée à la compagnie belge Brussels Airlines en août.

Ces plans de sauvetage sont parfois houleux : ainsi, au mois d’août, Ryanair a porté plainte devant la Commission européenne contre l’aide financière étatique reçue par la compagnie aérienne portugaise TAP. Le plan de sauvetage prévoyait en effet de faire monter à 72,5% la participation de l’Etat portugais après le rachat de TAP. Ryanair a accusé ces aides gouvernementales de « fausser la concurrence » : « Dans un contexte de libéralisation du marché aérien (...) un gouvernement ne peut décider de soutenir uniquement les compagnies du pays », a déclaré Juliusz Komorek, directeur juridique de Ryanair. D’autres se heurtent également à des difficultés pour mettre en œuvre leur plan de sauvetage, comme Brussels Airlines, dont l’aide a d’abord été refusée par la Commission car n’entrant pas dans le cadre des règles fixées pour les aides d’État, et KLM, qui peine à présenter un plan de réduction des coûts.

Tests, quarantaine, frontières fermées…le manque de coordination, véritable épée de Damoclès

Même depuis sa reprise progressive en mai grâce à la réouverture des frontières, le transport aérien européen a en effet particulièrement souffert d’un été et d’un début d’automne ballottés au gré des restrictions de voyage et des mesures sanitaires imposées d’un pays à l’autre, évoluant constamment en même temps que la progression du virus. Dès le mois d’août, le Royaume-Uni avait annoncé unilatéralement du jour au lendemain que les voyageurs arrivant de France devraient se soumettre à deux semaines de quarantaine, semant la panique chez les touristes comme chez les compagnies aériennes. À leur tour, l’Allemagne et la Belgique avaient ensuite placé sur « liste rouge » certaines régions françaises. Des mesures similaires se sont ensuite multipliées à travers l’espace Schengen, au grand dam de l’industrie du voyage. Le 1er septembre, la Hongrie a carrément refermé ses frontières, même si ses voisins du groupe de Visegrad (Pologne, Tchéquie et Slovaquie) ont réussi à arracher une exception pour leurs citoyens munis d’un test Covid négatif. Si les autres pays n’ont pas pris de mesures aussi radicales, les déplacements aériens ont été affectés par ces restrictions extrêmement variables d’une destination et d’un pays voire d’une région à l’autre : exigence de test datant de moins de 24, 48 ou 72 heures, isolement à l’arrivée de 7, 10 ou 14 jours…

Les acteurs du transport aérien ont sans relâche appelé de leurs vœux une harmonisation des restrictions sanitaires, qui a fini par arriver : après plusieurs propositions, portées entre autres par la France et l’Allemagne, les États membres sont parvenus à un accord le 13 octobre pour définir les zones à risque au sein de l’espace Schengen selon des critères communs – la nouvelle carte commune est désormais disponible sur le site du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. La mise en place progressive de tests antigéniques à résultat rapide dans les aéroports, au départ et à l’arrivée des vols, devrait également faciliter les voyages à travers l’Europe, en offrant davantage de visibilité sur les mesures sanitaires et en rassurant les passagers sur les risques liés au voyage en avion – une méfiance persistante en dépit des efforts des compagnies pour apaiser les craintes des consommateurs, en répétant notamment que le système de filtrage et recyclage de l’air réduit grandement les risques dans les cabines d’avion. Reste que ces mesures arrivent tardivement et que l’Europe n’est pas à l’abri d’un reconfinement – l’Irlande a été le premier pays d’Europe à reconfiner sa population pour 6 semaines.

Quelles perspectives pour le transport aérien ?

Comment s’annonce donc l’avenir du secteur aérien ? Pour certains, la crise ne fait que commencer, dans la mesure où contrairement à une crise économique, elle ne permet pas de s’appuyer sur un modèle de reprise progressive. Par ailleurs, en favorisant l’essor du télétravail et des réunions à distance, la crise du coronavirus a contribué à limiter les voyages d’affaires, branche lucrative du transport aérien. Ce contexte dissuasif vient également s’ajouter à une tendance grandissante en Europe à rejeter l’avion pour des motifs écologiques, tendance surnommée « flygskam », terme suédois signifiant « la honte de l’avion ».

Faut-il en conclure que la Covid-19 sera fatal à l’avion ? Pas forcément. Pour le journaliste Bruno Trévidic, spécialiste de l’aérien, l’avion aurait encore de beaux jours devant lui, car les fondamentaux qui portent sa croissance à l’échelle mondiale sont toujours là : l’urbanisation croissante, l’augmentation de la classe moyenne et l’augmentation du nombre de migrants. En outre, si les opposants à l’avion prennent de l’ampleur en Europe, la croissance du trafic aérien se fait désormais en Asie, notamment en Chine et en Inde, et est appelée à s’y maintenir. Le développement de nouvelles technologies aéronautiques moins polluantes, comme les biocarburants ou l’avion à hydrogène – ambition d’Airbus pour 2035– pourrait également changer la donne en Europe.

Cette évolution se fera sans doute sur le long terme : pour l’heure, le secteur est pessimiste face aux prévisions de l’IATA, qui n’envisage pas une véritable amélioration avant trois à cinq ans ; il lui faudra en passer par une crise violente et une perte massive d’emplois tout en se réinventant et en organisant sa transition écologique, au gré du soutien gouvernemental, avant d’entrevoir la lumière au bout du tunnel.

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