La droite libérale-conservatrice succède à la gauche libérale-conservatrice en Roumanie

, par Alexis Vannier

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La droite libérale-conservatrice succède à la gauche libérale-conservatrice en Roumanie
Source : Pixabay

L’épidémie de coronavirus fait rage dans toute l’Europe mais l’Europe centrale et de l’Est est plus gravement touchée alors qu’elle avait bien résisté à la première vague. Si certains États ont pu tenir des scrutins souvent reportés comme la Lituanie ou la Moldavie, la situation sanitaire très préoccupante en Roumanie n’incitait pas à l’optimisme pour les élections générales. Les Roumains étaient appelés à renouveler les 330 sièges de la Camera Deputaţilor (chambre basse) et les 136 sièges du Senatul (chambre haute) du Parlamentul roumain.

La chute des « sociaux-démocrates » du PSD

Le Parti social-démocrate domine la vie politique roumaine depuis la chute du Conducător Nicolae Ceaucescu en 1989, il a contrôlé le gouvernement vingt des trente dernières années. Seulement, depuis cinq ans, les scandales s’accumulent sur le PSD et les Roumains en ont marre.

Liviu Dragnea, alors ministre PSD, doit quitter le gouvernement après des accusations de fraude électorale en 2015. Le parti, qui n’a peur de rien, le place à sa tête deux mois après. IL devient ensuite président de la Chambre des députés avant d’être rattrapé – une nouvelle fois – par la justice, il est condamné pour abus de pouvoir et emprisonné en 2019, malgré les tentatives vaines de son camp de réformes pénales pour lui éviter la case prison.

Victor Ponta, premier ministre, est lui aussi éclaboussé par les affaires. Accusé de corruption, complicité d’abus de pouvoir et d’évasion fiscale, c’est finalement le tragique incendie d’une boîte de nuit à Bucarest faisant 64 morts et plus de 150 blessés qui entraînera la chute du gouvernement en novembre 2015. Assurément investi dans la défense de l’intérêt général de la Nation, il fonde un nouveau social-libéral Pro Romania (PRO) en 2017 et espère revenir sur le devant de la scène politique.

Enfin, le parlement acquis à la cause du PSD tentera par deux fois (2007 et 2012) de destituer le Président Băsescu (2004-2014) et ayant de la lutte contre la corruption un thème phare de sa présidence. Le Parti Mouvement populaire (PMP) de centre-droit est fondé en 2017 pour soutenir son action politique.

Habitué à faire sortir le peuple roumain dans les rues, mais généralement pas en sa faveur, le PSD s’engage dans un bras de fer avec la justice et plus particulièrement la cheffe du Parquet anticorruption, qui s’est illustrée en menant les investigations qui conduiront Liviu Dragnea en prison. Laura Codruţa Kövesi sera finalement choisie pour diriger le Parquet européen qui doit s’installer prochainement.

En outre, depuis 2014 le PSD s’est trouvé un ennemi de taille : le Président Klaus Iohannis. Libéral et proeuropéen convaincu, il est affilié au PNL (Parti national libéral) jusqu’à son élection qui le contraint à l’indépendance partisane, et mène la vie dure au gouvernement qui le lui rend bien. En 2019, il utilise ses pouvoirs constitutionnels pour organiser la tenue d’un référendum pour interdire le système des grâces et amnisties en faveur des condamnés pour corruption ainsi que les ordonnances en matière judiciaire.

Avec 43% de participation mais 86% de soutien, ce référendum non contraignant visait directement le gouvernement « social-démocrate » de Viorica Dăncilă. Une social-démocratie qui ne cache pas son conservatisme sociétal : le gouvernement organise un référendum pour limiter le mariage à l’union hétérosexuelle dans la Constitution. La liberté sortira grandie de cette consultation puisque seuls 20% des électeurs se sont déplacés, au mépris des millions d’euros engagés pour la campagne par le gouvernement et l’allongement à deux jours de la durée de vote, invalidant le scrutin.

Les élections se suivent et se ressemblent pour le parti dont l’adhésion au Parti socialiste européen (PSE) du Parlement européen a été « gelée » en avril 2019. Aux élections locales de septembre dernier, le PSD perd huit présidences de régions quand le PNL gagne un tiers des grandes villes dont Bucarest et lors des dernières européennes le PNL prend la première place quand le PSD voit son score se contracter de 15 points et obtient 22,5% des suffrages.

Péripéties parlementaires

En novembre 2019 se sont tenues les élections présidentielles. Klaus Iohannis s’est lancé dans la bataille pour un second mandat et le PSD a décidé d’aligner la Première ministre Dăncilă, alors que les sondages ne font pas de doute sur la défaite de cette dernière. Néanmoins, avant même l’officialisation de la déroute du PSD (Klaus Iohannis recueille 66% des voix au second tour infligeant la pire défaite du PSD de son histoire), des dissensions apparaissent dans la coalition gouvernementale avec le partenaire de l’ALDE (Alliance des libéraux et démocrates, à ne pas confondre avec son homonyme européen), ce dernier quitte le gouvernement et provoque sa chute un mois avant le premier tour.

Le Président Iohannis charge alors Ludovic Orban du PNL pour former une nouvelle coalition gouvernementale. Fort de seulement 82 représentants sur 329 sièges, les libéraux persuadent la minorité hongroise de l’UDMR (Union démocrate magyare de Roumanie) et les libéraux-progressistes de l’USR (Union-Sauvez la Roumanie) de leur accorder leur confiance. Seulement, une nouvelle motion de censure initiée par le PSD revanchard fait tomber le tout jeune gouvernement en février dernier dans l’objectif d’appeler à un scrutin anticipé. Ces plans, comme tant d’autres, seront néanmoins engloutis par la vague de coronavirus qui déferle sur le monde entier. À la hâte et pour éviter une paralysie chaotique du pays, la Chambre des députés fait front commun et reconduit Ludovic Orban à la tête du gouvernement.

Alternance confirmée

Alliés en 2012, le PSD et le PNL avaient recueilli près de 60% des voix et dominaient plus des deux-tiers des deux chambres du Parlement du pays de Dracula. En 2016, les deux partis font bande à part, le PSD confirme néanmoins sa domination de la scène politique : en recueillant 45% des suffrages, il s’assure de 154 députés et 67 sénateurs, soit un peu moins que la moitié. Le PNL suit loin derrière avec 20% des voix, 69 députés et 30 sénateurs. Les libéraux progressistes de l’USR s’arrogent 30 députés, la minorité hongroise 21, soit un de plus que l’ALDE devenu PRO.

Sans surprise, la campagne se concentre avant tout sur les « affaires » des uns et des autres, chacun se rejetant également la responsabilité de la gestion critiquable par les autorités de la crise sanitaire. Le Président Iohannis s’investit lui-même beaucoup dans ces élections en soutenant l’action du gouvernement quitte à écorner son indépendance partisane garantie par la Constitution roumaine.

Pour ces élections, l’USR s’est allié au PLUS (Parti de la liberté, de l’unité et de la solidarité), de Dacian Cioloş, chef du parti Renew Europe au Parlement européen (qui regroupe notamment le FDP allemand et LREM). Finalement, le PSD résiste et arrache la première place avec près de 29% des voix alors que le PNL obtient 25,2% des suffrages (+5% par rapport à 2016). Avec une centaine de députés, le parti de « gauche » remporte officiellement une nouvelle fois ces élections tout en perdant 16 points. Néanmoins, comme promu et promis, le PNL, l’USR-PLUS (15,6% des voix) devraient former une coalition avec la minorité hongroise qui réussit à se maintenir au Parlement avec environ 5,7% des voix, pour chasser les « sociaux-démocrates » avec une courte majorité absolue. Au contraire, le PMP de l’ancien président Băsescu et le PRO-Romania de l’ancien premier ministre Ponta ne parviennent pas à franchir la barre fatidique des 5% pour obtenir des sièges. À noter également la bonne performance de la formation eurosceptique et « coronasceptique », proche de l’Église orthodoxe, qui prône la réunification avec la Moldavie, l’Alliance pour l’unité de la Roumanie qui réunit 8,4% des voix. Les résultats au Sénat sont sensiblement les mêmes.

Plus important encore, la participation s’effondre à un niveau encore jamais observé : à peine 31% des électeurs se sont déplacés pour renouveler leurs représentants, en partie à cause de la situation sanitaire du pays mais sûrement aussi pour exprimer leur colère face à des élus qui ne les entendent plus.

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