Manifestations en Roumanie : le peuple l’emporte face à la corruption

, par Coline Auguin

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Manifestations en Roumanie : le peuple l'emporte face à la corruption
Les manifestations ont pris place devant un batiment du gouvernement dans lequel le ministre de la Justice tenait une conférence de presse. CC Paul Arne Wagner / Flickr

Après quatre jours de manifestations d’une ampleur inédite, et de dénonciations fortes de toute la classe politique européenne, le nouveau Premier ministre, Sorin Grindeanu, est revenu sur son projet. L’occasion de revenir sur une société roumaine partagée entre ses vieux démons datant du communisme et les aspirations à plus d’intégration européenne.

Le décret adopté par le gouvernement roumain dans la nuit du 31 janvier prévoyait la dépénalisation de la corruption. Selon ce décret l’abus de pouvoir ne sera passible de peines de prison que si le préjudice provoqué est supérieur à 44 000 euros. Il prévoit également de gracier 2500 personnes condamnées pour corruption, dont plusieurs élus.

La proposition de ce décret il y a 10 jours avait déjà provoqué des rassemblements de dizaines de milliers de personnes dans plusieurs grandes villes de Roumanie. Ce scandale éclate à quelques semaines à peine des élections législatives remportées par le PSD (parti social-démocrate), vu par de nombreux roumains comme l’héritier du système communiste. Selon Laura Codruta Kovesi, directrice du parquet anti-corruption « à partir de maintenant, chaque jour représente un risque majeur pour la justice ». En effet, avec cette mesure estime-t-elle, « la lutte contre la corruption devient inutile ».

La Roumanie se trouve à une période charnière de son histoire. Si pour la grande majorité des roumains l’entrée dans l’Union Européenne en 2007 a représenté un espoir, aujourd’hui ce sont deux Roumanie qui s’affrontent. Une Roumanie toujours liée par les valeurs et les pratiques du communisme, et la jeunesse, qui n’a pas ou peu le communisme, et rêve d’une seconde révolution démocratique.

Corruption : un héritage communiste

Au lendemain de la révolution de 1989, le gouvernement provisoire du Front du Salut National (Frontul Salvarii Nationale, FSN), créé le 22 décembre 1989 se déclare démocratique et souhaite rompre avec le régime autoritaire de Ceausescu. Pourtant, l’écrasante majorité de ses membres provient du parti communiste, même s’ils n’étaient pas les personnalités les plus en vue. Ion Iliescu, élu président le 26 décembre 1989, apparait alors comme « la promesse d’un changement sans douleur et d’une continuité dans rupture » [1]. Cette tendance au renouvellement des anciens du parti communiste et proches de la Securitate [2] se poursuit toujours. Le PSD, ancien Parti humaniste de Roumanie (Partidul Umanist din România, PUR) aujourd’hui au pouvoir, ne déroge pas à la règle. Héritages des pratiques ayant eu cours sous le communisme, la corruption et la fraude sont ainsi monnaie courante parmi les élites dirigeantes.

Pourtant, depuis une dizaine d’années, la Roumanie était vue comme le bon élève de l’Europe en matière de lutte anti-corruption. D’ailleurs pour Hoyt Brian Yee, adjoint de l’assistant aux affaires européennes et eurasiennes, la Roumanie était devenue un modèle dans la lutte contre la corruption dans la région. La création de la Direction Nationale anticorruption (DNA) en 2002, qui collabore avec l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), a marqué un tournant important dans la lutte contre la fraude et la corruption. La nomination à sa tête de Laura Kovesi en 2013, a permis à cette structure d’acquérir une efficacité redoutable et d’être crainte par les membres de la classe politique. Elle a permis la condamnation de 743 personnes en 2012 et de 1138 en 2014. Dans la ligne de mire de la DNA : les membres des partis politiques. Plus de 3000 ministres, députés, sénateurs ou maires ont été condamnés à des peines de prison, preuve de l’efficacité et de l’impartialité de cet instrument.

La politique de lutte contre la corruption en péril

Malgré les efforts de la DNA, la corruption reste profondément ancrée dans les pratiques, et notamment au sein du PSD, l’un des principaux partis de ce pays à tendance bipartisane. L’ancien premier ministre Victor Ponta, membre de PSD, avait déjà dû démissionner le 4 novembre 2015 à la suite du tragique incendie de Colectiv, une discothèque en plein cœur de Bucarest, faisant 32 morts et des centaines de blessés. Ce drame a généré un émoi sans précédent depuis la révolution de 1989. Des dizaines de milliers de roumains s’étaient rassemblés pour manifester dans plusieurs grandes villes contre la corruption rongeant le pays. Victor Ponta, alors au cœur de plusieurs affaires de corruption, fut contraint de démissionner, laissant la place au gouvernement provisoire de Dacian Ciolos. Ancien délégué à la Commission européenne, il forme un gouvernement de technocrates indépendants.

Le 11 décembre dernier, à la suite des élections législatives, le PSD l’emporte avec plus de 45% des voix, au grand désarroi d’une partie de la population en majorité urbaine et éduquée. Sorin Grindeanu est nommé premier ministre, Liviu Dragnea, homme fort du parti ayant dû lui céder sa place en raison d’une condamnation à deux ans de prison avec sursis pour fraude. C’est dans ce contexte, que quelques semaines après sa prise de pouvoir, le PSD déterre un ancien projet de loi d’amnistie et le fait entrer en vigueur par la force, dans la nuit. Ce tour de force du pouvoir a largement mobilisé contre lui dans les grandes villes, où les manifestations ont réuni jusqu’à 150 000 personnes dans la nuit du 1er février.

Une société partagée

Face à des manifestations de cette ampleur, le constat s’impose que la société roumaine est partagée. D’un côté une population désabusée, acceptant les dérives communistes du pouvoir, regrettant la sécurité de l’emploi que permettait le communisme. En somme, les oubliés de la révolution de 1989 et de l’intégration européenne qui voient dans le communisme un système bon dans ses fondements mais mauvais dans son application. Au lendemain de la révolution de 1989, la démocratie est encensée. Mais, associée au capitalisme, elle devient dès les premiers signes de crise économique responsable de tous les maux.

De l’autre coté la jeunesse des grandes villes et la population plus éduquée sont fatiguées d’un pouvoir passéiste et conservateur à tendance autoritaire. Ces personnes sont le noyau dur d’une société civile roumaine qui commence à vouloir faire entendre sa voix. Ces derniers jours les manifestations à l’encontre du décret d’amnistie ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Mais d’autres sujets commencent à mobiliser, comme le projet de sauver les montagnes rouges en les inscrivant au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour ces derniers, l’Union européenne représente un espoir face à un système partisan corrompu. Si le gouvernement de Dacian Ciolos, formé d’indépendants et anciens technocrates européens a été une bouffée d’air, c’est maintenant vers le tout jeune parti « Union sauvez Roumanie » (USR) [3] que se tournent les regards. Créé en juillet 2015, il a récolté près 10% des suffrages aux élections législatives. Trop peu, mais un espoir tout de même.

Notes

[1« La Roumanie post 1989 », Catherine Durandin et Zoé Petre, L’Harmattan, 2008

[2La Securitate (« Sécurité » en roumain), dont l’appellation officielle était Departamentul Securității Statului (« Département de la Sécurité de l’État »), est la police politique secrète roumaine sous l’ère communiste. Source : Wikipédia

[3Uniunea Salvati Romania est un jeune parti qui se veut « ni de droite, ni de gauche ». Il veut lutter contre la corruption et mise sur le secteur privé

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