18 Rafales, une commande historique
Depuis le mois d’août, les tensions ne cessent de monter entre la Grèce et la Turquie, cette dernière menant une campagne de recherche d’hydrocarbures dans les eaux territoriales grecques en Méditerranée. C’est dans ce contexte que le Premier Ministre grec a annoncé la commande à la France de 18 appareils Rafales. Cette commande est d’autant plus significative que 12 appareils seront d’occasion, c’est-à-dire qu’ils seront prélevés au sein de la flotte de l’Armée de l’air française, ce qui représente donc un effort important côté français. Mitsotakis espère ainsi obtenir la livraison dès 2021, sachant que le délai habituel entre une commande de Rafales et leur livraison est de 3 ans.
Le montant exact du contrat n’est pas connu, le ministère des armées parlant d’une transaction s’élevant « entre 1 et 2 milliards d’euros ». A titre de comparaison, le contrat de ventes de 36 Rafales à l’Inde en 2016 se montait à 7,87 milliards d’euros. Face à la Turquie, cet achat ne donnera peut-être pas l’avantage définitif à la Grèce, mais constitue tout de même un soutien significatif. Dans son communiqué, la ministre des armées n’a quant à elle pas tari d’éloges, évoquant un « succès pour l’industrie aéronautique français », qui vient « intensifier la coopération opérationnelle et stratégique » entre les deux armées : par cette vente, « la France poursuit son action en faveur d’une Europe de la défense plus forte, plus autonome et unie ».
Une phrase ressort néanmoins du communiqué qui a de quoi surprendre : « Pour la première fois, un pays européen souhaite se doter d’avions de combat Rafale ». Etonnant mais vrai : la Grèce est effectivement le premier pays européen membre de l’OTAN à faire l’acquisition d’avions Rafale. Si ce genre de transactions renforce effectivement la coopération entre Etats européens, comment expliquer qu’aucun pays européen n’ait acheté de Rafale jusqu’à présent ?
A qui la France a-t-elle vendu des Rafales ?
Pour autant, cela ne signifie pas que le célèbre avion Dassault ne trouvait pas d’acheteurs auparavant. L’année 2019 a d’ailleurs été particulièrement bénéfique pour Dassault Aviations : le constructeur a livré au Qatar le premier avion de 36 Rafales commandés en 2015 ; idem pour l’Inde qui a passé un contrat de près de 7,8 milliards d’euros, également pour 36 Rafales en 2016. Enfin, l’Egypte a reçu les premières livraisons sur 24 appareils commandés. Au total, le carnet de commandes à l’export de Dassault Aviations s’élève à 73 avions (pour 108 commandes passées en 2015). En tout, ce sont 26 avions qui ont été livrés en 2019 au Qatar, à l’Inde et à l’Egypte, contre seulement 12 en 2018 et 9 en 17.
De plus, la vente de Rafale n’est peut-être pas finie pour la France. Alors que la crise du coronavirus a fortement fragilisé le secteur aéronautique, les commandes supplémentaires d’avions seront un outil très efficace pour relancer l’activité des entreprises concernées. Telle est la stratégie expliquée dans le rapport de la mission « flash » sur la place de l’industrie de défense dans la politique de relance, rendu le 21 juillet 2020 par Benjamin Griveaux et Louis Thériot. C’est dans cette optique que la France a proposé de vendre des avions d’occasion à la Croatie, qui a besoin de moderniser sa flotte d’avions de combat. Il n’est donc pas exclu que le Rafale parvienne à conquérir le marché européen dans les années à venir.
Quels avions se partagent le marché européen ?
Il n’est effectivement pas évident de se faire une place sur le marché de l’avion de combat européen. Du fait de leur appartenance à l’Otan, la loyauté des acheteurs européens va d’abord aux Etats-Unis, et notamment au chasseur F-35 de Lockheed Martins, avion dit de 5e génération déjà adopté par le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, le Danemark, la Norvège et la Pologne. A cet égard, les Etats-Unis, partenaire traditionnel, n’ont pas intérêt à ce que l’Europe développe son autonomie stratégique et son propre marché de la défense – il en est ainsi depuis les origines de l’Union Européenne. Le F-35 est le digne successeur du F-16, qui avait notamment la préférence de pays de l’ancien bloc communiste comme la Roumanie, la Bulgarie ou la Slovaquie.
En Europe, le champion européen de l’avion de combat, ou du moins ce qui devrait l’être, est l’Eurofighter Typhoon, développé en 2004 par le consortium Eurofighter GmbH qui rassemble le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. La France en faisait initialement partie lorsque le projet est né dans les années 80, mais a quitté le groupe suite à des divergences pour aller construire de son côté…le Dassault Rafale. Elle y participe néanmoins indirectement via Airbus, coopération industrielle réunissant plusieurs pays européens mais basée en France, qui construit l’Eurofighter. En dehors des pays européens membres du consortium, les acheteurs de l’Eurofighter sont pour l’instant principalement des pays du Moyen-Orient : l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït et le Qatar. A ce jour, malgré une production plus coûteuse que prévue – la division entre 4 Etats n’a pas fait baisser les coûts de production autant qu’espéré –, l’Eurofighter est l’avion de combat européen comptant le plus de clients, tous pays confondus. Enfin, le dernier grand concurrent en lice sur le marché européen de l’avion de combat est le Gripen, développé en 1996 par la Saab, l’Airbus suédois. Le Gripen a également su s’exporter puisqu’en plus de l’armée de l’air suédoise, qui achète local, il est utilisé par la Hongrie et la Tchéquie – même si ces derniers n’ont pas acheté mais loué leur flotte – et par l’Afrique du Sud, le Brésil et la Thaïlande.
Il faut tout de même noter que les Etats ne choisissent pas forcément un avion au détriment d’un autre : la Grèce, par exemple, s’est équipée de F-16 américains et de Mirages français. La Grèce est à cet égard un client plutôt fidèle à la France en matière d’industrie d’armement : avec l’Espagne, elle faisait déjà partie des rares pays européens à avoir acheté un Mirage, l’autre grand avion de Dassault. L’hypothèse d’un achat de Rafale avait d’ailleurs été évoquée en 2008 pour moderniser sa flotte de Mirages, mais la Grèce avait abandonné ce projet en raison de la crise économique.
Les perspectives pour les avions de combat européens ?
Hormis la France et la Suède, qui ont des filières aéronautiques très développées et performantes, la prédominance des avions américains demeure sur le marché européen. Cette domination, qui ne semble pas près de s’affaiblir – au contraire – représente un sérieux défi pour l’ambition d’une Europe de la défense et l’élaboration de son autonomie stratégique. S’il est certes possible de « panacher » les flottes, les Etats ont un budget limité et le marché des avions de combat arrive rapidement à saturation.
Néanmoins, la crise du coronavirus pourrait peut-être faire bouger les choses. La France a ainsi augmenté ses commandes de Rafale pour pouvoir relancer la croissance. A l’heure où les relations avec les Etats-Unis et l’OTAN sont de plus en plus tendues, il reste à savoir si l’achat de Rafales par la Grèce donnera un élan nouveau à l’achat « local » au sein de l’UE. En outre, plusieurs pays de l’ancien bloc communiste, jusque-là équipés d’avions russes, s’apprêtent à renouveler leurs flottes, ce qui pourrait constituer une opportunité pour les avions européens, qu’il s’agisse de l’Eurofighter ou des avions nationaux français ou suédois.
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